• F.B.I.

    J’ai été engagé à Rio de Janeiro pour écrire les arrangements et diriger le grand orchestre qui accompagnait Mike Brandt à l’occasion d’un concours international de chansons. C’était peu après les évènements tragiques de Munich, et comme je faisais partie de la délégation israélienne, j’étais protégé par des agents du F.B.I., tout comme Mike, qui remarquait : « C’est dingue, on se croirait dans un film de gangsters ». En effet, trois colosses américains me suivaient jusque sur la plage de Copacabana, dans les vagues, le bas du pantalon relevé, mitraillette au poing ; c’était totalement loufoque, et je dois dire que nous formions une attraction très remarquée parmi les jolies ensoleillées, les belles paresseuses allongées sur le sable. En costume impeccable, ils campaient la nuit devant la porte de ma chambre et participaient avec enthousiasme à mon quotidien ; lorsque je rentrais dans un restaurant, ils s’installaient à la table d’à côté, revolver sur la table. Belle ambiance. Ils me conduisaient en voiture n’importe où, au gré de mes caprices, roulant à grande vitesse sur les trottoirs aux heures d’encombrements, grillant les feux rouges en faisant hurler leur sirène. Un matin que j’étais allé visiter le Jardin Botanique de Rio avec mon escorte, un touriste anglais, pris de panique à la vue des armes, s’était caché dans un massif de magnolias, et comme je l’approchais discrètement, profitant d’un moment de distraction de mes cerbères, il sorti sa tête toute rose des feuilles d’un arbuste, un doigt sur la bouche et me chuchota, avec extase, en guise d’explication : « it’s tea ! ». Il était en train de voler des boutures de thé du Brésil pour les repiquer chez lui !Au cours des répétitions avec Mike, j’ai rencontré l’immense artiste Astor Piazzola, qui participait au concert et m’a fait l’honneur de me choisir pour diriger son orchestre lors de sa venue à Paris à l’occasion d’une émission télévisée produite par Maritie et Gilbert Carpentier. Il n’était alors connu en France que par quelques musiciens amateurs de tango et de bandonéon, alors qu’il était depuis longtemps considéré comme un dieu vivant dans toute l’Amérique latine. Une magnifique rencontre, et une chance pour moi de m’enrichir au contact de son style extravagant et passionné, si particulier.On a perdu le concours.
  • Martial Solal

    J’ai passé six mois à Hérouville, chez Michel Magne, à arranger ses musiques de film. Comme je n’y connaissais absolument rien à la musique, je m’autorisais des trucs barrés, des alliages improbables genre harpe-grosse caisse, avec tuba dans le suraigu et cor de chasse solo. Pour moi c’était sans risque : si je me plantais, c’est Michel qui prenait ! Aujourd’hui, je mesure la chance dont j’ai bénéficié : J’avais tous les jours un orchestre à ma disposition pour expérimenter mes conneries.
    Quand Michel m’a confié les arrangements du disque de Martial Solal, j’étais ébloui. J’avais vingt trois ans et la responsabilité était écrasante. J’étais impressionné par la stature de Martial Solal, un immense soliste, un musicien qui a suivi sa voie à lui, avec un style personnel très fort, qui n’a jamais imité personne, et qui est d’ailleurs inimitable.
    Il m’a fallu tordre les thèmes de Michel en fonction de l’identité de Martial Solal tout en m’inspirant des grands du jazz moderne, Thelonius Monk, André Hodeir, et les deux Evans, Bill et Gil, mes idoles, que j’écoutais sur mon Tepaz. Michel m’avait donné carte blanche, « aucune censure, fonce ! » Il voulait que j’aille vers un truc déjanté et éclatant. Mon goût pour l’insolence et le délire organisés le faisait rire. J’ai essayé toutes sortes de bêtises, fausses improvisations, séquences énervées, écrites sur une seule note, formules rythmiques simultanées, mélodies déstructurées, dissonances, diabolus in musica, phrases incohérentes, faux départs, tout y passait, en essayant de donner l’impression de n’importe quoi et de fouillis, mais d’une extrême rigueur, sinon c’est pas drôle. Tout a été enregistré en direct, et je me suis beaucoup amusé en observant la méfiance réciproque entre les musiciens dits « classiques », et ceux de la rythmique « jazz », Lolo Bellonzi et Paul Rovère, totalement paniqués par la présence des « plumiers » (c’est ainsi qu’ils nommaient les violonistes). A l’époque, ils n’avaient pas trop l’habitude de se côtoyer.
  • Barbican Center

    Andy Votel, Jim O’Rourque, David Holmes et bien d’autres DJ, réalisateurs ou compositeurs anglais me pressaient de distribuer « l’Enfant Assassin des Mouches » en Angleterre.
    Curieusement, la sortie du CD outre Manche provoqua un évènement, en regard du silence poli que j’avais constaté en France.
    A la sortie anglaise du disque, j’ai été tellement surpris par les réactions enthousiastes des journalistes qui m’appelaient, que j’ai pensé un moment qu’ils se moquaient de moi.
    Andy me proposa, en 2005, de monter l’Enfant Assassin des Mouches sur scène, à Londres, avec dix musiciens, mais malheureusement, on allait au casse pipe avec une si petite formation.
    Quelques mois plus tard, vingt musiciens, obligés d’abandonner l’idée, à regret, mêmes raisons.
    En janvier 2006, Andy et Doug de Finders & Keepers avaient convaincu Bryn Ormrod, du Barbican Center, un magnifique théâtre londonien de deux mille cinq cent places, de produire un spectacle composé de « l’Enfant Assassin des Mouches » et « Melody Nelson », avec l’orchestre de concert de la BBC, cinquante choristes du Crouch Festival End Chorus, une rythmique mythique composée de Herbie Flowers, Big Jim Sullivan, Douggie Wright, Vick Flic, Cliff Hall et Graham Clark, et des invités prestigieux, comme Jarvis Cocker, Gruff Rhyss, Badly Drown Boy, Mick Harvey, Brigitte Fontaine et bien d’autres. Plus de cent personnes sur scène, venant d’Angleterre, d’Australie, des USA, de France et du Japon.
    Impossible de refuser un truc pareil.
    Oct.21th 2006, Barbican Center, London.
    Ce fus un accueil incroyable, comme je n’en avais jamais connu en France, et toutes mes conneries, les bruitages de l’Enfant Assassin des Mouches, machine à coudre, mixeurs, poêle à frire de Michel Musseau, les ciseaux vengeurs et les papiers déchirés du petit Marcel Valty, les bombes insecticides des choristes, les klaxons du quatuor à cordes d’enfants eurent pas mal de succès avec le public de Londres.
    Quand à Melody Nelson, c’est maintenant un classique ici, et les chanteurs ont été ovationnés, et chaleureusement remerciés par le public.
    Andy Votel, Jim O’Rourque, David Holmes et bien d’autres DJ, réalisateurs ou compositeurs anglais me pressaient de distribuer « l’Enfant Assassin des Mouches » en Angleterre.Curieusement, la sortie du CD outre Manche provoqua un évènement, en regard du silence poli que j’avais constaté en France.A la sortie anglaise du disque, j’ai été tellement surpris par les réactions enthousiastes des journalistes qui m’appelaient, que j’ai pensé un moment qu’ils se moquaient de moi.Andy me proposa, en 2005, de monter l’Enfant Assassin des Mouches sur scène, à Londres, avec dix musiciens, mais malheureusement, on allait au casse pipe avec une si petite formation.Quelques mois plus tard, vingt musiciens, obligés d’abandonner l’idée, à regret, mêmes raisons.En janvier 2006, Andy et Doug de Finders & Keepers avaient convaincu Bryn Ormrod, du Barbican Center, un magnifique théâtre londonien de deux mille cinq cent places, de produire un spectacle composé de « l’Enfant Assassin des Mouches » et « Melody Nelson », avec l’orchestre de concert de la BBC, cinquante choristes du Crouch Festival End Chorus, une rythmique mythique composée de Herbie Flowers, Big Jim Sullivan, Douggie Wright, Vick Flic, Cliff Hall et Graham Clark, et des invités prestigieux, comme Jarvis Cocker, Gruff Rhyss, Badly Drown Boy, Mick Harvey, Brigitte Fontaine et bien d’autres. Plus de cent personnes sur scène, venant d’Angleterre, d’Australie, des USA, de France et du Japon.Impossible de refuser un truc pareil. Oct.21th 2006, Barbican Center, London. Ce fut un accueil incroyable, comme je n’en avais jamais connu en France, et toutes mes conneries, les bruitages de l’Enfant Assassin des Mouches, machine à coudre, mixeurs, poêle à frire de Michel Musseau, les ciseaux vengeurs et les papiers déchirés du petit Marcel Valty, les bombes insecticides des choristes, les klaxons du quatuor à cordes d’enfants eurent pas mal de succès avec le public de Londres.Quand à Melody Nelson, c’est maintenant un classique ici, et les chanteurs ont été ovationnés, et chaleureusement remerciés par le public.
  • Étiquettes

    Prix de la « Meilleure Cliente de l’Année 1988 » à la Redoute. (Bien mérité, celui là, délivré par la rédactrice en charge des distinctions honorifiques, département de la communication, direction shop casting prêt à vivre, à la suite d’achats simultanés de culottes tulle jacquard, dos mailles unies et dentelles doublées coton, hottes cuisine inox brossé 3 vitesses d’aspiration et taies d’oreiller santé modulables)Grand Prix de l’Humour Noir 1999 pour des raisons que je n’arrive pas toujours bien à analyser.Membre d’honneur de l’« AAAA », Association des Amis d’Alphonse Allais 2007 (« Où Alphonse Allais, nous irons »)
  • Mon beau travelo

    J’ai débuté en écrivant de la musique pour des ballets ; je conduisais l’orchestre dans la fosse, dos au public, les chaussons des ballerines juste sous mon nez.
    Après la tension du spectacle, nous allions nous calmer les nerfs dans des boites de nuit avec les danseuses et les danseurs du ballet.
    Très tard.
    Des voyages au long cours dans des endroits où l’on peut écouter de belles étrangères, des drôles d’humaines, avec des perruques blondes, chantant des standards en play back.
    Avec l’une d’elles, souvent, en rentrant au petit matin, autour de six heures, on achetait nos légumes au marché qui venait juste d’ouvrir, et en la regardant, avec ses poireaux dans son panier, sa perruque de travers, la barbe pointant sous le maquillage, les bas plissés, les talons vacillants, je la trouvais très touchante.
    J’ai débuté en écrivant de la musique pour des ballets ; je conduisais l’orchestre dans la fosse, dos au public, les chaussons des ballerines juste sous mon nez.Après la tension du spectacle, nous allions nous calmer les nerfs dans des boites de nuit avec les danseuses et les danseurs du ballet.Très tard.Des voyages au long cours dans des endroits où l’on peut écouter de belles étrangères, des drôles d’humaines, avec des perruques blondes, chantant des standards en play back.Avec l’une d’elles, souvent, en rentrant au petit matin, autour de six heures, on achetait nos légumes au marché qui venait juste d’ouvrir, et en la regardant, avec ses poireaux dans son panier, sa perruque de travers, la barbe pointant sous le maquillage, les bas plissés, les talons vacillants, je la trouvais très touchante.
  • Klaxons

    J’ai toujours aimé mélanger des instruments improbables, pianos déglingués, batterie en carton, caisses à savon, toy piano, ou dactylophone, avec des ustensiles, des outils, sirènes, enclumes, ou simplement des bruits de la vie. J’ai ainsi dirigé des orchestres de curés, avec cloches et ciboires, de bagnards, enchaînés à leur boulet, de ménagères, jouant bien en mesure de l’aspirateur, mixer électrique, ciseaux, machine à coudre à pédalier ou poêles à frire accordées.
    Mais celui qui m’a le plus intéressé était l’ensemble que j’avais monté pour le gala contre la peine de mort, parrainé par le biologiste Jean Rostand, au Palais des Sports, en 1971.
    C’était un orchestre composé d’une rythmique style bûcheron assez basique, un quatuor à cordes hoquetant des motifs répétitifs, et tout un pupitre de klaxons à poire, maniés par différents solistes de jazz. On peut tenir très longtemps avec un machin pareil, même face à une foule déchaînée (peut être étaient ce des partisans de la peine capitale) qui criait « au garage !»
    J’ai toujours aimé mélanger des instruments improbables, pianos déglingués, batterie en carton, caisses à savon, toy piano, ou dactylophone, avec des ustensiles, des outils, sirènes, enclumes, ou simplement des bruits de la vie. J’ai ainsi dirigé des orchestres de curés, avec cloches et ciboires, de bagnards, enchaînés à leur boulet, de ménagères, jouant bien en mesure de l’aspirateur, mixer électrique, ciseaux, machine à coudre à pédalier ou poêles à frire accordées. Mais celui qui m’a le plus intéressé était l’ensemble que j’avais monté pour le gala contre la peine de mort, parrainé par le biologiste Jean Rostand, au Palais des Sports, en 1971.C’était un orchestre composé d’une rythmique style bûcheron assez basique, un quatuor à cordes hoquetant des motifs répétitifs, et tout un pupitre de klaxons à poire, maniés par différents solistes de jazz. On peut tenir très longtemps avec un machin pareil, même face à une foule déchaînée (peut être étaient ce des partisans de la peine capitale) qui criait « au garage ! »
  • Chansons sur scène

    Je suis toujours très heureux de sortir.
    J’adore aller au spectacle.
    Je vais au spectacle depuis que je suis tout petit : Marionnettes, cirque, comédie, opéra, cabarets, club de jazz…
    Dans le temps j’étais dans la salle, avec le public.
    Et puis vint la mode des mises en scène « modernes », ou les acteurs balançaient des trucs à la tête des spectateurs, farine, hémoglobine, pavés.
    Un jour que j’étais au premier rang, j’ai pris un seau d’eau en pleine figure.
    Après çà, je demandais à être placé plutôt au balcon.
    Mais je ne m’y sentais pas bien.
    Alors maintenant je suis là, sur scène.
    On voit bienÉvidemment je sors moins souvent.
    Et puis il faut réserver sa place longtemps à l’avance.
  • Lubiana

    Dans les années 70, je dirigeai une musique de film à L’opéra de Lubiana, dont les musiciens étaient sous le régime militaire, comme dans tous les orchestres officiels, même s’ils ne jouaient pas en uniforme. C’est ainsi que j’appris que mon interprète était adjudant régisseur d’orchestre, alors que le copiste, qui travaillait la nuit, à la bougie, a cause des coupures d’électricité, n’était que deuxième classe.Au cours de la première matinée d’enregistrement sur la petite scène du théâtre, j’eus à rectifier des erreurs minimes dans les parties des cors, dues à l’inattention des deux instrumentistes, à la copie, ou bien peut-être tout simplement à moi. Après déjeuner, un ou deux accidents anodins furent de nouveau détectés chez les cornistes, mais l’enregistrement se passait bien et j’étais très content, comme je l’affirmai à mon interprète. Le lendemain, retrouvant avec joie les musiciens, déjà installés sur scène, je constatai que les deux cornistes n’étaient pas les mêmes que la veille. Comme je m’en étonnai au près de mon adjudant régisseur interprète, il me répondit que les deux hommes avaient été consignés pour deux jours dans une prison militaire, à la suite de mes observations.Je terminai rapidement l’enregistrement sans plus oser risquer la moindre réflexion qui aurait pu jeter le personnel de l’Opéra en prison pour des années, si j’avais dévoilé le fond de ma pensée.
    Je n’ai plus jamais réécouté cet enregistrement.
  • Plume d’ange

    Comme beaucoup d’artistes que j’ai eu la chance de côtoyer, Claude Nougaro était un ami. Nous avons passé ensemble des nuits mémorables, à épousseter les recoins mal éclairés de la musique du monde ; de ces soirées aux Halles bien arrosées, avec Eddie Louis, Maurice Vander, sont sorties pas mal de conneries lumineuses, et quelques chansons, orchestrées dans le mouvement ondulatoire des plateaux de verres de la serveuse, et le point d’orgue des crieurs de journaux du petit matin.J’avais déjà écrit pour lui les arrangements de tout un album, « Sœur âme », d’un thème de Neil Hefti, « Dansez sur moi » avec un magnifique solo de Maurice au piano, la musique de quelques chansons, « Insomnie », quand Claude me soumit « Plume d’ange ». Je fus interloqué, car j’ai toujours eu la plus grande difficulté à mettre ce genre de texte, très narratif, en musique. Il fut donc décidé que Claude parlerait sur une partition d’orchestre.Enregistrement le matin, aux studios Barclay, tout le monde en direct, Pierre Alain Dahan à la batterie, Marc Chantereau au célesta, sur un tapis d’orient déroulé par les cordes de l’Opéra de Paris.
  • Prague

    Je me suis retrouvé coincé en pleine révolution de velours au beau milieu d’un orchestre symphonique, en novembre 1989 à Prague, au cours de la préparation le nouveau spectacle de Véronique Samson, qui devait se dérouler au Théâtre du Châtelet.La nuit, des gens venus de toute la province occupaient les lieux importants, groupés autour de fleurs et de bougies disposées le long des trottoirs brillants de poussier de charbon. La place Venceslas était noire de monde, et j’étais ému aux larmes, frappé par le calme, la concentration, et la volonté qui émanait de cette foule, digne, debout dans la nuit froide de l’hiver, jouant son avenir en silence, prenant tant de risques en défiant l’autorité du régime.Beaucoup m’interpellaient : « dites partout ce qui se passe ici, faites le savoir chez vous, racontez le au monde entier ».Nous avons joué quinze jours à la fin décembre, au Châtelet, à Paris, avec Véronique et l’orchestre de Prague, un magnifique souvenir. Le soir de Noël, avant le spectacle, un violoniste perdu sur la grande scène mal éclairée se mit à jouer une mélodie triste, un ancien cantique tchèque. Un par un, descendus des loges, les cent musiciens de l’orchestre, si loin de chez eux, se sont joints à lui, hautbois de Stare Metso, flûtes de Terezin, contrebasses du Maïsel, zymbalum de Malé Nàmesti, pour créer une si belle orchestration, que je ne pourrai jamais l’écrire.
  • L’enfant assassin des mouches

    Un coup de fil ce matin : un murmure lointain que je décode vaguement : « c’est moi… tu passes ?… ». C’est comme un jeu : quand je ne comprends pas, je sais que c’est lui.La rue de Verneuil fait partie de mes promenades et, comme souvent, nous passons l’après-midi ensemble. Inconfortablement installés dans le salon noir, lui calé dans son vieux fauteuil de dentiste et moi sur le prie-Dieu, nous écoutons les bandes que je viens d’enregistrer au Studio des Dames.J’aime écouter de la musique avec des amis musiciens : il y a des réactions amusées, des connivences d’enfants pris en faute, des sourires complices. Mais cette fois, c’est autre chose : la partition inspire à Serge une sorte de conte, « une histoire fantastique… avec des mouches… je crois ; laisses moi passer la nuit dessus ». Et le lendemain, je découvrais, émerveillé, ce Roi des Mouches, cet Enfant et ces Allumettes qu’il avait imaginés dansant sur mes notes de musique.Le disque vinyle n’est jamais sorti : la vie, la paresse, la météo marine et la mort aussi…
  • BARBARA

    Elle m’appelait son « petit lord Fontleroy » et me téléphonait habituellement vers trois heures du matin; si elle constatait que j’avais la voix prise, à cause des allergies, elle m’envoyait des mouchoirs par taxi. Elle a exigé de moi plusieurs fois que je la rejoigne à son appartement de la porte de Saint Cloud pour regarder avec elle le feuilleton « Les envahisseurs » à la télé. « Madame » a été enregistré en une nuit, en direct, et elle chantant au milieu des musiciens: Michel Portal, Jean Louis Chautemps, Jacques di Donato, Bernard Lubat, Bernard Vitet, Jean Pierre Sabar, Marcel Azzola, rien que du beau monde. Il y avait une ambiance très douce, chaleureusse, elle était vraiment portée, elle volait au dessus de l’orchestre.
  • QUE JE T’AIME

    J’ai écrit très vite, en fin d’après midi, cet arrangement, en employant un ensemble de cuivres inusité par ici, à l’époque, avant d’aller au restaurant avec des amis, confiant ma fille à sa baby sitteuse. Au retour, tard dans la nuit, j’ai pu constater que la jeune fille au pair avait abandonné mes partitions toutes fraîches à ma fille pour tester sa nouvelle gamme de markers indélébiles et y laisser courir son inspiration.
    J’ai réécrit à la va vite l’arrangement dans la nuit, mon copiste à côté de moi, pour enregistrer au studio le lendemain matin. Je me souviens de Jean Schultheis à la batterie.
  • MELODY NELSON

    J’ai rencontré Serge Gainsbourg à Londres. Il logeait dans une petite maison à Chelsea avec Jane, et moi dans une chambre sans dessus dessous à l’hôtel Caddogan, là où Oscar Wilde, un de mes auteurs préférés, passa ses dernières heures de liberté avant d’être jeté en prison. A l’époque c’était un lieu totalement décadent, mais les lits de travers, les rideaux déchirés, les escaliers branlants, les portes impossible à ouvrir ni à fermer, le bar mal éclairé, fréquenté jadis par  Edouard VII et ses maîtresses, et où le garçon ratait une fois sur deux le mélange instable et subtil des Irish coffe, m’enchantaient. Aujourd’hui le Caddogan est un palace, et ses riches occupants ignorent certainement qu’un pauvre forçat a dormi là.
    Après l’enregistrement de  la musique d’un film de Robert Benayoun, que nous avions écrite ensemble, Serge me parle d’un projet,  « Melody Nelson ». Comme j’attends les détails, il me dit : « je n’ai que le titre. Pas de musiques, pas de paroles, rien. As-tu quelque chose dans tes tiroirs ? » Je me souviens exactement de l’expression, car j’avais alors compris « as-tu quelque chose de méritoire ? »
    J’ai écrit certaines musiques, Serge d’autres, et nous avons conçu toute une suite hétéroclite de chansons :
    Il y en avait même une qui s’appelait « Melody au zoo ». C’était un peu « Bécassine à la plage ». Serge me disait : « à nous deux on est Cole Porter, les paroles et la musique, je suis Cole et tu es Porter ».
    Nous sommes allé au studio, à Londres ; j’avais écrit pour une rythmique composée de Big Jim Sullivan, Vic Flick, Dougie Wright et Herbie Flowers. Je jouais les claviers et nous avons enregistré une heure de musique. Toujours pas de texte.
    Rentrés à Paris nous avons sélectionné les meilleurs moments, sur lesquels j’ai écrit des cordes, que j’ai enregistrées au studio des Dames avec des musiciens de l’Opéra de Paris.
    Ensuite Serge à conçu le texte, l’histoire de Melody Nelson, en s’inspirant de la rythmique et des cordes. Il était à l’époque très impressionné par les sonnets héroïques de José Maria de Heredia, et je crois qu’il en reste un parfum, principalement dans « Cargo culte ».
    Comme nous n’y connaissions ni l’un ni l’autre en automobiles, et à fortiori en Rolls Royce, mon père nous a fourni une liste de noms, où Serge a puisé « Silver Ghost », évidemment, l’épicier marocain en bas de chez moi nous a offert le mot « raz el hanout », et voilà pour le décor.
    La sortie du disque a été un échec.
  • SUPER NANA

    Quand j’ai rencontré Michel Jonasz, il écrivait des chansons en alexandrins, avec ses potes de la porte de Vanves, malheureusement sans grand succès. Pourtant sa voix me paraissait profonde et vibrante comme un violon tzigane, très porteuse d’émotions.
    Nous avons enregistré son album sans un sou, de bric et de broc, il m’a fallu jongler avec le budget.
    Super Nana est la première chanson dont j’ai écrit les paroles et la musique. Je ne l’avais pas écrite pour lui, mais quand je la lui ai fait entendre au piano et qu’il a repris le refrain en fredonnant avec moi, j’ai compris que la chanson m’échappait, elle décollait tout d’un coup.
    Michel a l’a enregistrée au studio, en une seule prise, et le preneur de son, hilare, m’a dit « vous n’allez tout de même pas sortir çà ? ». Ce style de paroles, un peu désinvolte, était inusité et incongru, à l’époque. D’ailleurs sur l’album vinyle,comme la production n’y croyait pas, ma pauvre Super Nana avait été gravée tout à la fin de la deuxième face, au centre du disque, là où le diamant grésille, où s’échouent les chansons sacrifiées.
    Michel et ma chanson se sont débrouillés tout seuls, comme des grands, un gars et une môme de banlieue. C’est Denys Lable à la guitare.
  • LA DRAGUE

    J’avais écrit la musique de scène d’un spectacle pour Guy Bedos et Sophie Daumier qui avait obtenu un joli succès à Bobino.
    Un jour à la salle Chopin Pleyel où nous répétions, Guy me dit « J’ai l’idée d’un sketch de drague sur une musique de danse, j’imagine un jerk », (sorte de déhanchement compulsif sur un rythme simple en vogue dans ces années là). En y réfléchissant, j’ai préféré enregistrer un thème un peu ringard, style slow rock, plus proche d’une drague bien collée au bal du samedi soir de Saint André de Cubzac que de la gymnastique corrective du Bus Palladium.
    Je quittai Paris peu après l’enregistrement, sans radio ni télévision.
    Un jour, au milieu de l’été, Guy me téléphona pour me dire que le disque était un succès, ce qui me laissa dubitatif, et m’inviter à son spectacle au casino de Deauville, ce dont je fus enchanté.
    Au milieu du show, alors que les hauts parleurs diffusèrent l’introduction de « la Drague », le public se mit à applaudir frénétiquement.
    Ca n’était pas un succès, c’était un tube, ainsi que les nommait Boris Vian.
  • SUR UN PRÉLUDE DE BACH

    Je ne connaissais pas Maurane, j’ai remarqué sa voix dans la sono d’une grande surface, au milieu des gondoles de légumes.  Je lui ai téléphoné en m’excusant : « On ne se connaît pas, mais je prends la liberté de vous appeler, car j’aimerais écrire pour vous.»« Comment, on ne se connaît pas ? Cela fait plusieurs fois que je viens vous voir dans votre loge à la fin de vos spectacles pour vous demander des chansons, mais vous n’avez jamais donné suite ! ». Je suis allé chez elle avec un bouquet de fleurs pour me faire pardonner, lui expliquant que lorsque je sors de scène, je suis dans un tel état de nerfs que je ne connais plus personne.Je lui ai montré quelques chansons, « Ami ou ennemi », « Sur un prélude de Bach », qui ne l’ont pas vraiment fait frissonner, elle verrai plus tard.En tournée avec son pianiste, un soir qu’ils avaient essayé sans trop y croire « Sur un prélude de Bach » en scène, elle fut surprise par la réaction enthousiaste du public. À son retour, on enregistrait. Comme ça m’est arrivé plusieurs fois, la production se désintéressa cordialement de cette chanson, qui fit son chemin tranquillement, donnant la main aux altos qui vibraient dans le coeur de Maurane.
  • BRIGITTE EST FOLLE

    L’enregistrement de ce disque a été le point de départ d’une amitié qui ne s’est jamais démentie. Brigitte est pour moi une aristocrate de haut vol, en scène comme dans l’Ile Saint Louis. La folie n’a rien à voir à l’histoire, mais plutôt sa fragilité, son désarroi face à un monde sans âme, sans style, d’une vulgarité tenace, et si étonnamment dépourvu de tout sens artistique. Je crois qu’elle partage avec moi une solide aversion pour les palmiers.
    Je ne sais pas trop pourquoi, je la fais rire, elle me pardonne beaucoup et semble sincèrement apprécier mes chansons ; je suis fier de lui en avoir écrit quelques unes.
    Je l’ai emportée à Londres, dans mes bagages, en 2006, au Barbican Center, pour interpréter « la valse de Melody » accompagnée par le BBC Concert
  • TÉLÉFILMS

    Le plus amusant, dans la composition de musique pour les téléfilms, c’est le rendez vous avec les responsables de la chaîne productrice.
    Un compositeur de musique pour eux c’est un peu comme un sorcier vaudou ou une courtisane. Quand les acteurs ne sont pas bons dans la scène d’amour, quand les actrices n’arrivent pas à dire « je t’aime », on doit rattraper le coup avec nos instruments, nos pipeaux.  Alors ils nous adorent, (« j’aime beaucoup ce que vous faites ») exigent des miracles, des trucs compliqués, nous cajolent,  nous promettent la lune, pour sauver le film. Mais dans le fond ils craignent nos rites bizarres, ces partitions cabalistiques, indéchiffrables, et se méfient du pouvoir de séduction de la musique, des caresses traîtresses des violons.
    Un producteur avait demandé que je lui joue au piano, avant l’enregistrement, les mélodies principales que j’avais imaginées pour la musique de fond d’un téléfilm.
    Il était venu à la maison, et, tandis que je lui pianotais mes pauvres thèmes, il regardait gravement par la fenêtre, me tournant le dos, les yeux fixés sur les platanes du boulevard, comme si la paix sociale et l’avenir économique du pays dépendaient de cette entrevue. Soudain, alors que je lui ciselais du mieux que je pouvais le thème N°3 dit « sentimental », (et voilà les violons) il se retourna brusquement vers moi et pointant un doigt vengeur vers le clavier :
    « Cette note, là, oui, celle-là, que vous venez de jouer, le public n’en veut pas. »
    Un sol dièse.